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Par Frisette59 le 26 Avril 2017 à 14:38
L'albatros
Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.Charles Baudelaire
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Par Frisette59 le 19 Avril 2017 à 19:49
Elle avait pris ce pli ...
Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin
De venir dans ma chambre un peu chaque matin;
Je l'attendais ainsi qu'un rayon qu'on espère;
Elle entrait, et disait: Bonjour, mon petit père ;
Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s'asseyait
Sur mon lit, dérangeait mes papiers, et riait,
Puis soudain s'en allait comme un oiseau qui passe.
Alors, je reprenais, la tête un peu moins lasse,
Mon oeuvre interrompue, et, tout en écrivant,
Parmi mes manuscrits je rencontrais souvent
Quelque arabesque folle et qu'elle avait tracée,
Et mainte page blanche entre ses mains froissée
Où, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers.
Elle aimait Dieu, les fleurs, les astres, les prés verts,
Et c'était un esprit avant d'être une femme.
Son regard reflétait la clarté de son âme.
Elle me consultait sur tout à tous moments.
Oh! que de soirs d'hiver radieux et charmants
Passés à raisonner langue, histoire et grammaire,
Mes quatre enfants groupés sur mes genoux, leur mère
Tout près, quelques amis causant au coin du feu !
J'appelais cette vie être content de peu !
Et dire qu'elle est morte! Hélas! que Dieu m'assiste !
Je n'étais jamais gai quand je la sentais triste ;
J'étais morne au milieu du bal le plus joyeux
Si j'avais, en partant, vu quelque ombre en ses yeux.Victor Hugo
Jeanne était au pain sec...
Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir,
Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir,
J'allai voir la proscrite en pleine forfaiture,
Et lui glissai dans l'ombre un pot de confiture
Contraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité,
Repose le salut de la société,
S'indignèrent, et Jeanne a dit d'une voix douce :
- Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce ;
Je ne me ferai plus griffer par le minet.
Mais on s'est récrié : - Cette enfant vous connaît ;
Elle sait à quel point vous êtes faible et lâche.
Elle vous voit toujours rire quand on se fâche.
Pas de gouvernement possible. À chaque instant
L'ordre est troublé par vous ; le pouvoir se détend ;
Plus de règle. L'enfant n'a plus rien qui l'arrête.
Vous démolissez tout. - Et j'ai baissé la tête,
Et j'ai dit : - Je n'ai rien à répondre à cela,
J'ai tort. Oui, c'est avec ces indulgences-là
Qu'on a toujours conduit les peuples à leur perte.
Qu'on me mette au pain sec. - Vous le méritez, certe,
On vous y mettra. - Jeanne alors, dans son coin noir,
M'a dit tout bas, levant ses yeux si beaux à voir,
Pleins de l'autorité des douces créatures :
- Eh bien, moi, je t'irai porter des confitures.
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Par Frisette59 le 19 Avril 2017 à 19:39
Confins
Dans l'ombre tiède, où toute emphase s'atténue,
Sur les coussins, parmi la flore des lampas,
L'effeuillement des heures d'or qu'on n'entend pas
Vibrer ainsi qu'un son d'archet qui diminue.
S'affiner l'âme en une extase si ténue ;
Jouir son coeur sur une pointe de compas ;
Tenter parmi des flacons d'or d'exquis trépas ;
Ne plus savoir ce que sa vie est devenue...
Se retrouver, et puis se perdre en des pays,
Et des heures, en des pianos inouïs
Faire flotter comme du silence en arpèges ;
Dans les parfums et la fumée aux lents manèges
Jusqu'à son coeur et par ses yeux évanouis
Sentir tomber des baisers doux comme des neiges...Albert Samain
Ton Souvenir est comme un livre...
Ton Souvenir est comme un livre bien aimé,
Qu'on lit sans cesse, et qui jamais n'est refermé,
Un livre où l'on vit mieux sa vie, et qui vous hante
D'un rêve nostalgique, où l'âme se tourmente.
Je voudrais, convoitant l'impossible en mes voeux,
Enfermer dans un vers l'odeur de tes cheveux ;
Ciseler avec l'art patient des orfèvres
Une phrase infléchie au contour de tes lèvres ;
Emprisonner ce trouble et ces ondes d'émoi
Qu'en tombant de ton âme, un mot propage en moi ;
Dire quelle mer chante en vagues d'élégie
Au golfe de tes seins où je me réfugie ;
Dire, oh surtout ! tes yeux doux et tièdes parfois
Comme une après-midi d'automne dans les bois ;
De l'heure la plus chère enchâsser la relique,
Et, sur le piano, tel soir mélancolique,
Ressusciter l'écho presque religieux
D'un ancien baiser attardé sur tes yeux.
Albert Samain
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Par Frisette59 le 3 Avril 2017 à 18:40
Rak de Billa Bozem, Adawiyah
Aime-moi d'amour.
Poète : François-Marie Robert-Dutertre (1815-1898)
Recueil : Les loisirs lyriques (1866).
Ce que j'aime à voir, ce que j'aime au monde,
Ce que j'aime à voir,
Veux-tu le savoir ?
Ce sont tes beaux yeux, c'est ta taille ronde,
Ce sont tes beaux yeux,
Tes yeux langoureux.
Ce que j'aime encore je vais te l'apprendre,
Ce que j'aime encore
Plus qu'aucun trésor,
Ce sont tes doux chants, c'est ta voix si tendre,
Ce sont tes doux chants,
Plaintifs et touchants.
Ce qui cause en moi la plus douce ivresse,
Ce qui cause en moi
Le plus tendre émoi,
C'est de voir ton cœur vibrer de tendresse,
C'est de voir ton cœur
Trembler de bonheur.Enfin, si tu veux répondre à ma flamme,
Enfin si tu veux
Combler tous mes vœux,
Jusqu'au dernier jour garde-moi ton âme,
Jusqu'au dernier jour
Aime-moi d'amour.
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Par Frisette59 le 31 Mars 2017 à 18:30
Ode de Tàhirih...
(Ode écrit en Perse vers 1844 par Tahirih - l'une des 19 " Lettres du Vivant " et la première femme qui a reconnu spontanéement le Bab)
(traduction de courtoisie en Français par Louiselle Lévesque-Beaulieu)
Et si, une fois seulement,
A l'aube comme à la brunante,
Mes yeux surprenaient
Tes traits bien-aimés ravagés de tristesse ou torturés de craintes,
Une seule fois...
Et le flot de mes larmes traduirait un amour
Que ni les hommes ni les anges ne peuvent connaître.
Et par cette solitude qui m'étreint le coeur
A la pensée qu'on puisse nous séparer pour des éternités,
Des larmes de sang ne cesseraient de couler
Tel un sombre torrent creusant son lit au creux de mon âme,
Telle la source cristalline jaillissant de sa caverne,
Tel l'océan silencieux aux majestueuses vagues desquelles
Chaque cours d'eau aspire naturellement.
Mais le cours de ma vie à moi serait tout chaviré
Et impatiente de retrouver ton visage,
Soulevée par la grâce des vents complices,
Projetée dans l'espace par les souffles de l'esprit,
J'irais à ta recherche...
Dans chaque demeure,
A chaque porte, dans chaque pièce,
Dans chaque ruelle et sur chaque place publique.
Comme l'abeille filant à la ruche pour déposer son miel
Il me tarde de goûter ta bouche parfumée d'ambre et de musc,
D'embrasser tes lèvres odorantes qui, comme la rose éclose,
Exhale la myrrhe et l'encens à en tuer l'hivers !
A en ressusciter le printemps
Et à en faire réapparaître les vents doux du sud plus clément.
Tes yeux de faucon royal
Ont réduit à néant le petit oiseau frais de mon coeur...
Et l'enfer et le paradis se sont déchirés
En même temps que luttaient en mon âme, et la terre et le ciel.
Qui pourrait contrôler cette chute vertigineuse ?
Quel genre d'ailes pourraient rendre à cet oiseau blessé
Sa faculté d'envol ?
Et en un tel moment, qui peut distinguer le jour de la nuit ?
Où dire par quoi la terre et le ciel,
Le paradis et l'enfer se sont confondus
Pendant que, dans un même souffle ,
La vie et la mort m'aspiraient en leur sein ...
Sur ton métier d'apparition fugace,
Viens me redonner vie.
Viens, tisse moi doucement
Au fil ténu de la pâle lumière d'aube...
Apporte aussi des fils d'or et d'argent
Ainsi que des rayons de lune
Brodés sur toile de nuit,
Pour réparer les fibres déchirées et brisées
Qu'un jour mon coeur, de ses doigts sanglants,
Avait tissées sur le métier de la souffrance
Entre le fil d'illusion et la trame douloureuse de l'amour.
Coucherais-je des pensées grandiose et magnifiées
Sur les pages de mon coeur,
Exaltée par tes lèvres suaves et ta chevelure parfumée
Que tout mon art ne saurait pénétrer
Le voile secret de mes mots...
Et quoique je chante des mélodies merveilleuses
A la louange de cet Ami aimant et tant aimé,
Ces versets ne sont pas de ma plume impuissante;
Toutes ces perles ne sont pas de mon eau...
Mais si tu as les yeux du coeur
Pour lire entre les lignes,
Tu sauras sans l'ombre d'un doute
Qu'un amour aussi grand a, de toute éternité,
Puisé sa sève et baigné ses racines
Dans le coeur du Tout-Aimant !
La source insondable du Plus-Grand-Nom !
(Tahirih - Perse - 1844)
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